Regards sur le cinéma muet suisse du 19 avril au 2 mai à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé

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La Suisse aussi a son cinéma, mal connu en France, malgré la proximité géographique et la réputation internationale d’un Léopold Lindtberg. Une prochaine carte blanche à la Cinémathèque suisse, organisée par la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé (73, avenue des Gobelins, 75013 Paris) du 19 avril au 2 mai, fera découvrir, dans des conditions exceptionnelle de projection, quelques œuvres de fiction et documentaires de la production muette. De multiples influences, françaises, allemandes ou italiennes, rendent parfois difficile l’émergence d’une spécificité helvétique, au-delà de l’inévitable photogénie des paysages montagneux. Mais c’est justement ce qui fait l’attrait du cinéma suisse : un aspect authentiquement européen transmis d’abord par le vecteur artistique, au croisement des cultures régionales. D’où ce paradoxe : La Suisse cultive ses particularismes, mais nous partageons d’autant mieux son histoire fédérale (à travers aussi l’imagerie populaire) qu’elle n’a pas été gommée par une adhésion à l’espace économique. Au cours de cette programmation, nous pourrons apprécier, entre autres choses, un film d’animation d’après Töpffer (Histoire de M. Vieux-Bois), un film de montagne (Der Bergführer), un mélodrame formaliste (La Vocation d’André Carel), un film d’aventures (Le Justicier de Davos) ou encore une œuvre d’unité nationale (Les Origines de la Confédération) qui pourrait illustrer l’idée que l’exaltation patriotique est transnationale lorsqu’elle est d’essence européenne.

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Le Guide Alpin (1917) est le plus ancien film de genre alpestre, presque entièrement tourné en extérieur et sorti pendant la Grande Guerre. Encouragé par l’Office du tourisme, il devait servir de propagande touristique – après la fin des hostilités – en réaction à l’exploitation incontrôlée de prises de vue de paysages par les compagnies étrangères. La succession de plans immobiles génère une force brute, un effet de réel qui déborde sur la fiction. D’où l’importance de visionner ce film dans une belle copie 35mm. Le grain et la dimension de l’image confèrent au récit mélodramatique une matérialité, donc une réalité presque indépendante du récit néanmoins poignant. Déjà projeté au Centre culturel suisse à Paris, voici une seconde chance de voir ce beau film.

Les Origines de la Confédération (1924) est le projet ambitieux d’un Suisse émigré aux USA et souhaitant réaliser l’équivalent de Naissance d’une nation pour son pays d’origine. Convoquant sponsors et organismes d’Etat, le producteur en même temps que réalisateur parvient à convaincre et lance une grande campagne publicitaire, à l’américaine, pour alerter le public. Tandis qu’un restaurateur de sites historiques aménage les décors, qu’un opérateur allemand réputé est à la photo, c’est tout un art éducatif et illustratif qui cherche à se mettre en place, comme ailleurs en Europe. Le résultat sera un échec commercial cuisant et le film, d’une durée de trois heures, est réduit de moitié, principalement à l’épisode fameux de Guillaume Tell. A découvrir en musique pour la première fois.

Le Justicier de Davos (1924), présenté à l’époque comme un « film d’aventures sensationnelles et d’amour » est, semble-t-il, un produit de divertissement inspiré du serial et tourné en décors naturels. Avec un réalisateur allemand dont la carrière se continuera pendant la Guerre et des acteurs français, allemands et italiens, mais un producteur suisse, il s’agit assurément d’un film  typiquement européen plutôt que cosmopolite et visant le marché international. La Suisse pouvait donc, elle aussi, non pas imiter le cinéma étranger mais proposer autre chose qu’une imagerie photogénique exaltant le paysage ; les rebondissements promis par le scénario et le professionnalisme du producteur qui continue sa carrière en France (Le Puits de Jacob, Le Berceau de Dieu, Sables) le laissent croire. A vérifier sur place.

La Vocation d’André Carel (1924) est une coproduction franco-suisse. Jean Choux, alors critique de cinéma à Genève, réalise là son premier film en même temps qu’il fait débuter Michel Simon à l’écran. Mettant en application les principes esthétiques de la « symphonie visuelle », le futur cinéaste d’une vingtaine de longs-métrages – principalement en France dans les années trente et pendant l’occupation – fait défiler sur l’écran des paysages-états d’âme, autour du lac Léman et ses environs. Un montage sophistiqué de plans courts ne nuit pas à l’harmonie visuelle ni au propos discret derrière l’histoire racontée: le rapprochement de classes est préférable à l’affrontement. Nous ne sommes pas en Union Soviétique, c’est certain. Une belle réussite.

Rendez-vous dans la confortable salle Charles Pathé dès le 19 avril. Pour en savoir plus, on se reportera à l’indispensable Histoire du cinéma suisse de Hervé Dumont, publiée en 1987, qui est à la fois une analyse historique et un catalogue des films de fiction, courts et longs métrages, jusqu’en 1966. Certains titres projetés à la Fondation n’y figurent pas car ce sont des actualités ou des documentaires, comme par exemple un Raid africain (1930) avec survol du Kilimandjaro.

Informations pratiques sur : http://www.fondation-jeromeseydoux-pathe.com/

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