Le Lauréat, porteur de la rébellion d’une époque
Considéré comme le premier film du Nouvel Hollywood, le Lauréat est également un précurseur cinématographique des bouleversements du monde de la fin des années 60. Le film sortira en même temps que le Summer of Love, mai 1968 en France, Woodstock en 1969… revenons sur l’ensemble de ces évolutions au sein du Lauréat.
La révolution sexuelle dans le Lauréat
Il est impossible d’évoquer le Lauréat sans parler de la révolution sexuelle de la fin des années 60. Révolution sexuelle qui va se charger de faire un sort (temporaire) au mariage traditionnel, mais aussi aux couples « arrangés » (quoique, nous y reviendrons).
Le premier scandale porté par le Lauréat est évidemment la différence d’âge entre Benjamin Braddock et Mrs. Robinson. Différence d’âge qui n’est pas sans rappeler un autre film des années 60 réalisé par Stanley Kubrick : Lolita. Chose amusante, les deux sont adapté de livres, Lolita étant une oeuvre de 1955 de Vladimir Nabokov et le Lauréat de 1963 de Charles Webb. Si les deux oeuvres ont finalement peu de différence dans leurs dates de publication (8 ans), les films en ont encore moins (5 ans).
Dans les deux cas, il est présenté des couples « contre nature », et certainement en opposition totale avec le code Hays qui pourtant drivait les couples du grand écran depuis bien longtemps. Dans Lolita, les protagonistes ont 25 ans d’écart (37 ans pour Humbert, 12 pour Dolorès), ce qui est peut ou prou la même chose dans le Lauréat !
Avec plus de 20 ans d’écart, Mrs. Robinson est certainement la cougar (quelqu’un osera-t’il MILF ?) la plus célèbre du cinéma. La mise en scène de cette relation sexuelle entre nos deux héros est donc en tant que tel un premier témoignage de la libération sexuelle de l’époque. Libération pas tant pour les personnages (on peut supposer, au comportement de Mrs Robinson, que Benjamin n’est pas le premier), mais dans leur présentation à l’écran.
Cette révolution à l’écran se présente également au travers de l’oeil de Mike Nichols quand, dans la chambre d’Elaine, il nous fait découvrir par des plans presque subliminaux le corps de Mrs. Robinson. Au-delà de la volonté de présenter ce que voit (ou ose voir) Benjamin, le réalisateur tend aussi à contourner sans entrer en conflit direct avec le code Hays. Le « full frontal » aurait définitivement mis le film au rebut en 1967. Par une pirouette de réalisation, Nichols réussi donc à se censurer afin d’assurer une diffusion à son film, et donc à bousculer les mentalités.
L’autre branche de la révolution sexuelle est présentée lors de la discussion sur l’oreiller entre Mrs. Robinson et Benjamin. Car si au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, avoir une relation sexuelle à l’arrière d’une Ford équivaut à finir enceinte et mariée, ce n’est plus le cas en 1967. Le sexe, dangereux pour Mrs. Robinson (finalement, n’est-ce-pas ce qui a ruiné sa vie et ses espoirs ?) peut devenir léger et (presque) sans conséquences (du moins physiques).
La relation entre Benjamin et Mrs. Robinson est une relation purement sexuelle. Si aujourd’hui ce type de relation est trouvable au moindre swipe sur Tinder, ce n’était pas forcément le cas lors de la sortie du film ! La présenter en tant que telle, sans conséquences, est également une prouesse du film.
Durant cette discussion sur l’oreiller, on découvre également la frustration d’une femme des années 50. Car si le sexe sans conséquence est possible en 1967, ce n’est pas le cas en 1946 (année de la conception d’Elaine dans la Ford de Mr. Robinson). Ainsi, Mrs. Robinson a du abandonner tout ce qu’elle aimait (ses études aux Beaux-Arts notamment) pour devenir femme à temps plein, à la manière de Betty Drapper dans Mad Men. De cet abandon résulte sa fuite dans l’alcool et sa relation avec Benjamin (et d’autres ?). Elle n’a jamais été réellement amoureuse de son mari (c’était plus un crush de fac visiblement), et se sent obligée de rester avec lui uniquement pour les apparences.
Le Lauréat comme conflit entre deux générations
Au-delà de la libération sexuelle, le Lauréat présente d’autres rébellions typiques de la fin des années 60.
La première et la plus évidente est celle de la lutte générationnelle. La jeunesse de 1967 est en conflit avec la génération de leurs parents. Alors que ces derniers sortent de la guerre, sont encore très croyants et puritains, la nouvelle génération s’émancipe de ces règles et tentent d’imposer une nouvelle vision de la société.
Symboliquement, le moment où Benjamin exprime cette rébellion est lors de la séquence à l’hôtel avec Mrs. Robinson où il ferme la porte à ses parents. Par ce claquage de porte, Benjamin refuse de nombreuses choses : refus de suivre la voie toute tracée de ses études (il ne répondra d’ailleurs jamais à son choix d’orientation), refus de suivre leur mode de vie et leurs choix (il couche avec Mrs. Robinson, pas avec Elaine), refus dans un certain sens de leur puritanisme (il couche pour le plaisir, pas pour se marier).
https://www.youtube.com/watch?v=xu5s1Jk4SpI
Le choix de l’université où part Elaine n’est pas étranger à la coloration du film. Berkeley, université renommée de Californie basée à San Francisco est à l’origine du Free Speech Movement en 1964. Malgré l’envoi de la garde nationale par Ronald Reagan en 1966, Berkeley deviendra une place forte du Summer of Love en 1967 avec pour thème majeur l’amour libre. Avec une sortie aux USA en décembre 1967, il est fort probable que le scénario et le tournage aient eu lieu avant le Summer of Love. Cependant, la synchronisation est parfaite une fois la sortie en salle !
Avec cette révolution sexuelle, est-il nécessaire de rappeler qu’une autre rébellion est bien présente, celle envers la religion ? Car à partir du moment où le mariage n’est plus sacralisé, c’est un pan de l’église (en particulier catholique dans le cadre de ce film) qui s’effondre.
Et ce coup de pied dans la fourmilière de l’Eglise avec un E majuscule est double dans le Lauréat. Le premier coup de pied est évidemment la symbolique de Benjamin défendant la jeune mariée Elaine de ses parents, sa famille et de Carl Smith à l’aide d’un crucifix ! Crucifix utilisé en tant qu’arme tout d’abord, puis en tant que clé afin d’enfermer tout ce beau monde dans l’église. La religion devient alors un enfermement au sens propre, pendant que la jeune mariée s’échappe avec son amant (et l’ex-amant de sa mère).
Le second coup porté à la religion est bien plus fort avec le refus de la reconnaissance du mariage. Dans le film, ce refus est présenté au travers des femmes Robinson. On pensera donc évidemment à Mrs. Robinson qui n’hésite pas à mettre un sérieux coup de cutter dans le contrat en couchant avec Benjamin (en présupposant qu’il est le premier…), mais aussi à Elaine. Elaine qui, malgré le sacrement du prêtre n’hésite pas à s’enfuir avec Benjamin. Quand sa mère lui dira, fière « it’s too late » / « c’est trop tard », elle lui réponds « not for me » / « pas pour moi ». Il faut alors comprendre que le mariage est vu par Mrs. Robinson comme une finalité, une situation gravée dans le marbre. Les voeux ont été prononcés, donc Elaine est promise « jusqu’à ce que la mort la sépare » à Carl Smith, et ne peux donc pas fuir avec Benjamin. La réponse d’Elaine est alors cinglante : « pas pour moi ».
Réponse à double sens donc. Le premier, simple, est à lire dans la vision de cette génération qui va à l’encontre des traditions, de la religion. Le mariage n’est plus une étape indéboulonnable, c’est un contrat. Et comme tout contrat, il peut être revu. Ce n’est donc pas trop tard pour Elaine, elle peut divorcer, ou pire, ignorer ce qui s’est passé à l’église.
Le second sens recoupe la critique de la religion et le conflit générationnel. Ainsi, « pas pour moi » signifie que le mariage n’est pas un obstacle pour Elaine…contrairement au point de vue de sa mère. A l’époque de sa mère, le mariage semble irrévocable, et prononcer des voeux signifie qu’il est alors trop tard pour vivre sa vie comme on l’entends.
Notons cependant que la fin du film vient à l’encontre dans un certain sens de cette rébellion. Une fois dans le bus, Elaine et Benjamin sont scrutés par nombre de personnes âgées qui sont surprises de les voir entrer. Par la surprise dans le regard, on comprend que l’ancienne génération ne peut pas comprendre la nouvelle. Le fossé est creusé, les nouveaux ne se comportent pas comme les anciens… et pourtant. Et pourtant, ne sont-ils pas tous dans le même bus ? Ce bus qui les amène tous au même endroit ? Sans revenir à la symbolique du bus, Elaine et Ben n’ont-ils finalement pas fait exactement ce que leurs parents attendaient ? L’ordre établi n’est finalement pas si renversé que cela, et le jeune couple prends donc symboliquement le risque de suivre la même voie que leurs parents…
Lire la suite : la fin ouverte du Lauréat
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Merci beaucoup pour ton excellente Analyse.