Analyse et explication du film le Lauréat de Mike Nichols

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La réalisation au service des personnages

La première chose qui marque sur le Lauréat est le brio de la réalisation de Mike Nichols. A quoi reconnait-on une bonne réalisation ? C’est difficile à dire, car comme on peut le lire dans Faire un film de Sidney Lumet, une bonne réalisation ne doit pas se voir, mais apporter au ressenti du film. Au premier visionnage du film, le spectateur sera avant tout soufflé par l’histoire, la symbolique et la progression (ou non) de ses personnages plutôt que par sa réalisation.

Cependant, ces trois points ne seraient pas aussi impactants sans une réalisation exceptionnelle en amont. Exceptionnelle quant on s’y penche, mais pourtant suffisamment discrète pour ne pas « étouffer » le film.

Benjamin Braddock enfermé dans un carcan

le_laureat_tapisAinsi, le film démarre sur un plan où l’on voit Benjamin Braddock (Dustin Hoffman) à l’aéroport, sur un tapis roulant. Le cadre resserré et l’image du tapis roulant donne l’image d’un personnage subissant la vie plus qu’acteur de cette dernière. Tout le film est construit autour de l’émancipation de Benjamin, émancipation parentale, mais aussi émotionnelle et sexuelle. Emancipation qui va, nous allons le voir, être accompagnée par un travail de représentation de Benjamin dans l’image.

Sur la première partie du film, tout tend à présenter Benjamin comme prisonnier du carcan. Carcan familial (la proximité et la docilité vis-à-vis des choix de ses parents), carcan de la tradition (le barbecue du dimanche midi), carcan professionnel (il travaillera dans le plastique avec l’ami de son père), carcan sexuel (« cela ne se fait pas »).
le_laureat_aquariumEn terme de réalisation, ce carcan est présenté par un choix identifié de focales longues. En jouant avec des focales longues, Mike Nichols « écrase » Benjamin dans son univers qui se réduit à vue d’oeil. Une petite chambre, la maison familiale étriquée (par rapport à celle des Robinson, toujours présentée en focale courte, plus aérée), l’aquarium.
L’enfermement le plus total est symbolisé dans la scène du scaphandre. Présentée d’abord du point de vue de Benjamin (le rendant presque étouffant) puis en plan plus large en le montrant perdu dans la piscine.

Dans cette scène, non seulement Benjamin est enfermé dans le choix de ses parents (le cadeau pour son diplôme), mais cet enfermement est doublé quand il est dans la piscine. On transforme alors un potentiel symbole de liberté (la plongée sous-marine peut-être vue comme une délivrance, la découverte d’un monde nouveau) en un symbole d’enfermement. Le fait de ne pas l’avoir dans la mer (donc un lieu potentiellement infini) mais dans une piscine (donc un espace totalement confiné) le rends presque terrifiant.

le_laureat_jambePar la suite, Benjamin se retrouvera une fois de plus cerné, aussi bien dans sa vie et ses choix que dans la réalisation lors des scènes avec Mrs. Robinson. Toujours enfermé dans une chambre ou un cadre formé par les jambes de cette dernière, Benjamin n’a pas d’autres choix que de céder à la tentation de Mrs. Robinson.
Enfin, son enfermement volontaire dans une cabine téléphonique pour donner le rendez-vous à Mrs. Robinson à l’hôtel Taft sera une de ses dernières actions imposées par le carcan.

La libération de Benjamin à l’écran

le_laureat_piscineCar le dépucelage de Benjamin va aller également de pair avec sa libération des différents carcans. On le voit ainsi fermer la porte aux choix familiaux (aussi bien symboliquement que dans la vraie vie dans le plan enchaîné dans la chambre avec Mrs. Robinson), avec les traditions (il préfère sortir le soir que se conformer au rythme de sa maison), avec son avenir professionnel (il ne choisi pas son université), et enfin sexuel. Sexuel d’abord avec sa relation avec Mrs. Robinson, puis avec son refus de cette dernière au profit de sa fille Elaine.

Une fois la relation avec Mrs. Robinson enclenchée, on peut voir Benjamin prendre de la hauteur, briser en quelque sorte les chaînes qui l’enfermaient là où il était sensé être. Il en sort par ses actes, mais Mike Nichols décide de lui donner un coup de pouce derrière la caméra.

le_laureat_berkeleyDes lieux fermés et de focales longues, Benjamin entre progressivement dans des lieux plus ouverts filmés avec des focales courtes. On pense ainsi à Benjamin se prélassant dans la piscine ou au volant de son Alfa Romeo.

Cette ouverture est flagrante quant il arrive à Berkeley. La scène nous offre la scène la plus large du film où l’on peut voir Benjamin en hauteur, seul au milieu du campus de l’université. Benjamin y découvre la liberté, l’émancipation, mais aussi s’imprègne potentiellement de l’esprit de rébellion qui naît en Californie en 1967.

C’est ainsi que l’univers autour de Benjamin s’aère au même titre que ce dernier refuse l’avenir tout tracé qui semblait être inéluctable au début du film.

La progression de Benjamin dans la vie

La progression de Benjamin dans la vie s’exprime également par ses moyens de transports. Si il entre dans notre vie sur un tapis roulant, lieu où il est totalement immobile et soumis à un cheminement prédéfini, Benjamin changera de moyens de transports au cours de sa progression durant cet été.

le_laureat_decapotableLe plus symbolique est forcément son Alfa Romeo décapotable. Instrument de liberté, c’est à son volant qu’il ira à l’hôtel Taft perdre sa virginité avec Mrs. Robinson. C’est également dans cette dernière qu’il sortira avec Elaine avant de la rejoindre à Berkeley. La voiture l’accompagne dans son émancipation. Réel instrument de liberté, sans elle il n’aurait peut-être jamais pu briser ses chaînes comme il l’a fait.

Cependant, une malheureuse panne d’essence le force à finir le trajet vers la chapelle de Santa Barbara à pied. Une fois sorti de cette dernière avec Elaine, les deux tourtereaux s’enfuient dans un bus. Bien qu’ils n’en connaissent pas la destination (et qu’ils peuvent en sortir à loisir), Benjamin et Elaine reviennent dans un moyen de transport limitant bien plus leur liberté.

le_laureat_busD’ailleurs, Mike Nichols décide sur cette scène finale du film de revenir à un cadre fermé et une focale plus longue. Est-ce un indice quant à son idée de l’avenir du couple ? Après la liberté absolue de Berkeley, ces derniers prennent alors le risque de s’enfermer dans un nouveau carcan, un mode de vie que leurs ancêtres ont déjà suivi. D’ailleurs, le bus n’est-il pas rempli de personnes âgés ?

Nous reviendrons sur cette fin ouverte. Il n’empêche que pour ces nombreuses raisons (et bien d’autres), l’Oscar du meilleur réalisateur est totalement justifié pour Mike Nichols en 1968. La réalisation du film ne laisse rien au hasard et est en total lien avec l’évolution des personnages, et notamment Benjamin Braddock. Au fur et à mesure que Benjamin s’émancipe, les techniques de réalisation changent, passant d’un rendu transmettant la sensation d’enfermement à une liberté plus grande.

Lire la suite : Le Lauréat, premier symbole de la rébellion de la jeunesse

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