L’Etrangleur – 1970, Paul Vecchiali

Chuchotements des parents devant une porte fermée ; Emile, un petit garçon d’une dizaine d’années, vient d’être puni mais il reste silencieux. On voit traîner des exemplaires de Hurrah et Robinson. L’enfant s’échappe et, près d’une gare en 1939, il est remarqué par un homme mystérieux que l’on pourrait prendre pour un pédophile. Une femme d’âge moyen se tient dans la rue ; l’homme lui retire son foulard et l’étrangle avec une écharpe blanche qu’il laisse sur place. La victime s’empresse de baiser les mains de son assassin. L’enfant qui, comme l’explique Vecchiali, n’a pas été traumatisé mais charmé par la scène, récupère l’écharpe abandonnée. L’étrangleur semble l’avoir reconnu comme son héritier ou son fils spirituel. Générique avec lettres découpées (comme les messages signés E.)

Un assassin idéaliste

De nos jours, Anna (Eva Simonet) regarde une émission télé où un journaliste psychologue Simon Dangret (Julien Guiomar) évoque l’absence de mobiles. Le seul lien entre les victimes est leur désespoir ; l’étrangleur, qui signe E., n’aurait fait que devancer leur désir d’en finir avec la vie. Anna a rompu avec son amant infidèle et veut joindre Simon pour lui proposer de servir d’appât. Avec l’autorisation de la police, le journaliste qui cherche à se faire contacter par le tueur ne prend pas Anna au sérieux. Un homme jeune (Jacques Perrin) vit seul avec son chien et fait de la couture. Scènes de cabaret à Charenton avec filles en pull marin, filets, hamacs et chanteuse : « je me ferai marin » (au risque de la mort). La chanteuse est suivie par deux hommes dont l’un est Emile qui lui sauve la vie, lui donne un baiser puis l’étrangle en abandonnant son écharpe blanche. Emile rode autour d’Anna que Simon accuse de mentir sur ses intentions. Emile téléphone à Simon qu’il semble bien connaître (est-ce leur première conversation?). Emile est commerçant sur les marchés et porte un tablier. Hélène (Hélène Surgère), une belle actrice vieillissante et esseulée reçoit dans son appartement la visite d’Emile en vendeur d’écharpes et qui porte une fausse barbe pour l’occasion. Il la retire sur le pas-de-porte pour ne pas ressembler à Landru et se déclare « naturellement comédien ».

Anna et Simon se parlent enfin dans la rue. Simon avoue être policier. Simon accepte de suivre un jeu de pistes qui le mène jusqu’à Emile. L’étrangleur voudrait qu’on démasque le voleur qui le suit et dépouille ses victimes car le vol est indigne de ses actes désintéressés. Emile fait l’éloge de la nuit et est « obsédé par le bonheur ». Cette «  maladie du bonheur » le conduit à soustraire les femmes désespérées d’un monde qui fait leur malheur. Quand le bonheur s’est retiré avec le succès, la vie ne vaut plus la peine d’être vécue. Emile reconnaît que l’inspecteur ne l’a pas dénoncé mais il se sent tout de même trahi. Simon et Anna couchent maintenant ensemble; c’était donc une attirance sexuelle qui poussait Anna vers Simon et non pas le désir d’en finir. Emile conserve ses écharpes blanches dans un tiroir. Emile, avec son chien, suit Florence, une danseuse, et l’étrangle silencieusement hors champ. Mais le Chacal / le voleur (Paul Barge) est sur ses pas et les deux hommes se parlent. Simon démissionne de la police et le Chacal propose à Anna, séduite, de lui donner l’adresse de l’Etrangleur. Emile, étrangement serein, tel un ange de la mort, se revoit enfant et assiste – sous forme hallucinatoire – aux horreurs nocturnes (violences diverses, agressions, viols) qui s’opposent à sa vision valorisante de la nuit où les gens sont ouverts et le temps suspendu. Un homme costaud, à l’allure prolétaire, avoue à une femme dans la rue qu’il est attiré par les garçons. Emile est abordé par un homme efféminé qui veut le faire chanter ; Emile le poignarde dans le dos en un clin d’ œil. Un homosexuel harcèle des prostituées. L’une d’elle, Claire (Nicole Courcel), attire Emile dans un bois et s’apprête à se donner pour rien. Emile n’a pas le temps de passer à l’acte et le Chacal celui de faire les poches. Anna prend à Emile son écharpe et se la passe autour du cou. Simon frappe  le Chacal pour le faire parler ; celui-ci avoue être un suiveur par lâcheté.

Les comportements deviennent de plus en plus énigmatiques alors que les événements se précipitent. Emile fait croire à Simon au téléphone qu’il a tué Anna. L’Etrangleur et le Chacal sont contraints de s’affronter au couteau dans l’appartement de Simon. Anna qui s’était couchée à terre avec le chien d’Emile revient en courant et déclare à Emile qu’elle l’aime. Simon dit à Anna qu’il ne pourra plus jamais la croire.

Un triangle mystérieux

Anna a une place incertaine ; elle n’est pas une des victimes consentantes d’Emile, comme la chanteuse, l’actrice et la danseuse. Elle n’est d’ailleurs pas désignée comme artiste. Ses motivations sont floues : veut-elle mourir de désespoir ou refaire sa vie avec un autre homme ? Elle l’ignore probablement mais c’est la vie qui l’emporte à travers son attirance successive pour les trois hommes qu’elle va rencontrer ; Simon, Emile et le Chacal. Les hommes forment un triangle mystérieux, une figure érotique à trois faces. Si le Chacal s’attache à corrompre l’ œuvre d’Emile, il appartient quand même à son univers enchanté. Mais Simon aussi est séduit par la nuit et, quand il donne sa démission de la police pour ne plus trahir, il manifeste une étrange complicité avec l’homme qu’il traque. En fin de compte, c’est Anna qui sera l’agent le plus destructeur en prenant toujours l’initiative ; elle veut rencontrer Simon, elle cherche à séduire le Chacal, elle se place elle-même l’écharpe d’Emile autour du cou. Tout cela sans aucun psychologisme de la part de Vecchiali qui conserve ainsi à son film une savante légèreté, inhabituelle pour un film que l’on hésite à classer dans le genre policier ou horreur. 

L’existence d’Emile, faite de répétitions à travers les crimes miséricordieux, s’effondre à partir de sa vision des crimes crapuleux qui ternissent l’image idéalisée de la nuit. Désormais, la situation se dégrade. Homosexualité, vulgarité, chantage font leurs apparitions. Claire est la première victime à se débattre, fuir et refuser le geste fatal. C’est aussi la première fois qu’ Emile échoue à étrangler sa victime et le Chacal à la dépouiller ; les autres femmes viennent à la rescousse. Le rituel interrompu est comme la profanation d’un espace-temps sacré ; le sordide l’emporte sur la pureté. Dès lors, Emile et le Chacal, qui hantent le même univers nocturne, sont placés dans l’obligation de s’ entre-tuer pour faire place au jour.

Une constellation d’acteurs

On retrouve chez Vecchiali la désinvolture contrôlée façon Nouvelle Vague et le goût de la fantaisie. Il y a aussi une ambiguïté de ton qui oscille entre  un style quasi-documentaire (scènes de rue, Paris, banlieue) et un aspect onirique, avec regards caméra, surgissements d’images. Le goût du cinéma français sonore d’avant-guerre ne se traduit pas par un hommage appuyé, des imitations ou des clins d’ œil. Pas de nostalgie non plus. Mais une direction d’acteurs qui sert toujours les personnages et les sentiments avant le récit parfois négligé, lacunaire ou discontinu. Vecchiali réactive, dans le cinéma contemporain, les codes d’un cinéma qu’on disait « populaire » sans passer par la case rétro. C’est possible en produisant, par la magie des images « ordinaires » (sans esthétisme) une collusion discrète entre le passé et le présent contre un futur déjà advenu, celui des devoirs de mémoire qui la travestissent. Une continuité de l’histoire française, et pas seulement du cinéma, se manifeste ainsi à travers un genre privilégié, le mélodrame ou le policier, et aussi un choix d’acteurs (et d’actrices) qui n’hésitent pas à pleurer devant la caméra mais sans forcer le jeu jusqu’à la performance ou l’hystérie. Et même si nous ne sommes pas bouleversés par le drame intime des personnages, la simplicité de la mise en scène alliée à un certain goût du secret et de l’ellipse maintient le spectateur en état de suspension, d’indécision. Nous voyons des personnages intemporels évoluer dans un monde à la fois réaliste et fantastique et nous ne savons pas trop quoi en penser. Que ces fragments d’histoires nous séduisent ou nous ennuient, c’est… une autre histoire.

Le temps désarticulé

L’enfant, témoin et transmetteur fin 1939, devenu adulte en 1970, devrait avoir 40 ans (âge de Vecchiali au moment du tournage). Mais  il ne donne gère l’impression d’en avoir plus de 30. Dans l’appartement d’Hélène, Emile dit avoir 36 ans alors qu’Hélène lui en donne 29. Or, 29 ans est l’âge réel de Jacques Perrin au moment du tournage. Le couple Perrin / Surgère a donc 13 ans d’écart dans la réalité (Hélène Surgère a 42 ans) alors qu’il n’en aurait que 6 environ dans le film bien que l’âge du personnage d’Hélène ne soit pas indiqué. On peut ajouter que Hélène Surgère, malgré sa beauté et son élégance, fait plus âgée que Danielle Darrieux au même âge.

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  1. Dans « Le Diable et les dix commandements » (1962) de Julien Duvivier, Alain Delon dit avoir 20 ans 1/2 et retrouve sa mère Danielle Darrieux qui l’a eu à 16 ans et aurait donc 36 ans.

    En réalité, Delon a 27 ans et Darrieux 45 ans.

    On voit que si les âges ne sont pas respectés, l’écart l’est à peu près. Delon fait en effet plus jeune, Darrieux fait (très bien) son âge.

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