Londres au temps du cinéma muet à la fondation Jérome Seydoux-Pathé du 7 au 11 mars

Little_Veronica

Une ville concentrique mais aux limites floues

Ou s’arrête le Central London ? C’est seulement ce qui sort des limites d’un plan dépliable, réalisé à une échelle trop grande pour faire figurer toutes les rues ou même un quartier aussi peu excentré que Limehouse. Pour un atlas complet des rues de l’Inner London et de ses 12 boroughs, il faut se procurer un plan guide de poche. En fait, cette ville concentrique possède plusieurs centres selon les quartiers ou faubourgs (Districts / Towns) mais certains quartiers chevauchent plusieurs boroughs et les boroughs sont beaucoup plus étendus que les arrondissements parisiens qui, en comparaison, ressemblent plutôt à des quartiers. Les quartiers londoniens, parfois très éloignés et différents les uns des autres à l’intérieur d’un même borough, ne sont pas banalement alignés comme dans le damier d’une ville Nord-Américaine mais convergent, en fonction de leur orientation, soit vers la Cité (cœur historique) à l’Est, soit vers Westminster (qui constituait à l’origine une cité distincte) à l’Ouest. Le Sud de la Tamise, restant globalement terra incognita des visiteurs (à l’exception de Greenwich et Brixton), se signale par une discrète présence française vers Elephant & Castle et le Cinema Museum qui projette régulièrement des films anciens. On y croise occasionnellement des French Frogs qui, sans être de Londres, ne sont pas des touristes mais des chercheurs-qui-trouvent ou des amateurs-éclairés.

Un style néo qui fait l’unité architecturale

Quelque soit la ville étrangère qu’on arpente, le style architectural – quand il est décelable – imprime dans l’ œil du visiteur une image globale qui a tendance à effacer les variantes, les évolutions ou même les ruptures passant inaperçues dans un continuum. Là où le voyageur indifférent ne verra qu’une masse uniforme de blocs blanchâtres trouée par les tours Eiffel ou Montparnasse, le Parisien de longue date et qui connaît bien sa ville sera sensible aux déclinaisons, aux surprises et aussi aux destructions commises par l’urbanisme forcené. Dans le Londres victorien et édouardien, une architecture résolument néo (classique, Tudor, gothique, roman, etc.) renvoie simultanément à un passé mythique et à une modernité surannée. Malgré la diversité de ces styles néo, c’est une certaine uniformité qui l’emporte dans la perception d’ensemble. Le succès carte postale du Parlement, monument « ancien » de la moitié du XIXe siècle en est l’indice. Le Crystal Palace que nous verrons peut-être dans le programme Wonderful London  projeté à la Fondation Pathé,  fut d’abord édifié à Hyde Park pour l’exposition universelle de 1851 et ensuite déplacé ; mais il est détruit par un incendie dans les années 1930. Par contraste, la réplique de la fin des années 1990 du fameux Globe Theatre shakespearien sur les lieux mêmes du bâtiment original ne pourra évidemment pas être au menu d’un cycle de films muets.

La régularité et la répétition

Le tracé urbain d’avant le grand incendie de 1666 ayant été maintenu grosso modo pour  les reconstructions des XVIIe et XVIIIe siècles, Londres conserve un aspect enchevêtré et rétro peu en rapport avec la vision ordinaire d’une mégapole ultra moderne. Le lacis des ruelles, l’étroitesse relative des voies principales et l’absence de « grands boulevards » nous projettent dans un décor du passé. Pas d’avenues à la Haussmann percées au prix de la disparition de quartiers vétustes. Ces quartiers ont simplement été reconstruits et qu’importe la rareté des vestiges du Moyen-Age ; Londres n’est pas Paris. Le soin apporté aux façades et à l’entretien des innombrables squares donnent une impression de calme au promeneur mais la régularité et la répétition continuelles sont parfois inquiétantes et peuvent induire en erreur. Quand le fameux fog, bouchait l’horizon, il ne devait pas être commode de s’orienter et la ville pouvait devenir un dangereux labyrinthe aux maisons pièges. Mais le brouillard a disparu et la ville, malgré sa taille gigantesque et ses chaînes de fast-food, semble en harmonie avec elle-même, laissant derrière elle la misère visible de la cité tentaculaire telle qu’elle apparaissait à Gustave Doré, fasciné qu’il était par les conséquences sociales désastreuses de la croissance industrielle et de la pollution. Parmi les très courtes vues projetées à un autre programme de la Fondation Pathé, Victorian and Edwardian London, verrons-nous s’animer le Londres enfumé et grouillant de Doré ou des images rassurantes des beaux quartiers ?

Un fleuve et des canaux

La Tamise au sein de la capitale britannique, plus large que la Seine, a tendance à se rétrécir singulièrement lorsqu’on la remonte vers l’Ouest pour se rendre, par exemple, à Lambeth Palace. Il est certain que les vues présentées dans Along Father Thames to Shepperton (1924) montrent, en plus des maisons cossues et des péniches, l’étroitesse familière de la célèbre voie fluviale. Mais Londres possède aussi ses canaux au Nord. Depuis Limehouse jusqu’à Little Venice ou Paddington, il est facile de les longer par des pistes cyclables et des chemins piétonniers. En évitant de s’égarer au niveau d’un embranchement de canaux, cette promenade se fait plutôt à pieds car la location de péniche est hors de prix. Il est possible que les images de Barging through London (1924) s’attardent sur les riches résidences, nombreuses le long du Regent’s Canal. Mais le parcours complet traverse des quartiers différents dont certains sont restés populaires ou industriels. A certaines étapes, comme au niveau de St Pancras, on se croirait presque à Amsterdam. Alors que les rives de la Tamise sont en proie aux promoteurs immobiliers qui construisent des tours d’affaires, débordant largement la City, les berges des canaux sont relativement épargnées. A Paris, comme il n’était pas concevable de défigurer les bords de Seine par des buildings futuristes, l’ancien maire a bien imaginé Paris-Plage pour que la capitale devienne la risée de la province.

Le Londres littéraire

Nous verrons avec plaisir Dicken’s London (1924). Mais le Londres littéraire n’est pas que celui de Dickens ou de ses nombreuses adaptations cinéma. Conan Doyle aussi est à l’honneur avec la (fausse) maison de Sherlock Holmes reconstituée à Baker Street. On préférera quand même une visite discrète à la Fitzroy House de L. Ron Hubbard, fondateur bien connu de la Scientologie mais aussi écrivain de science-fiction ou encore le Londres inquiétant de Robert Louis Stevenson. Le Whitechapel de Jack L’Eventreur a gardé sa physionomie adéquate malgré les touristes ou à cause de sa population modeste. Sans oublier le Londres des écrivains étrangers qui donnent parfois de la ville une description précise ou fantaisiste. C’est le Londres imaginaire, incubateur de monstres, si bien décrit par Jean Ray dans les Harry Dickson. La métropole abritait de toute façon au XIXe siècle quantités de clubs spirites et sociétés théosophiques. Le nombre de romans et nouvelles, traduits ou pas, évoquant une maison hantée ou un quartier maudit est bien supérieur à celui de la production continentale sur Paris. De toutes les villes du monde, Londres est celle qui a servi le plus souvent de décor à la littérature fantastique. Depuis l’émergence du roman gothique à la fin du XVIIIe siècle, les vampires, fantômes, loups-garous et autres créatures surnaturelles sont légions. Londres a aussi été rayée de la carte. Quant aux extra-terrestres, chacun sait qu’ils ont débarqué à plusieurs reprises, y compris aux abords de la cathédrale St Paul.

Le métro

Quand nous aurons encore échappé pour la énième fois aux incroyables dangers qui nous menacent,  pourrons-nous quand même espérer trouver refuge dans le métro ? Avec Underground (1928), Anthony Asquith réalise une comédie dramatique où non seulement le métro, son tunnel et ses quais étroits (par rapport à Paris) sont à l’honneur mais aussi Lots Road Power Station à Chelsea qui fournissait alors le métro en électricité et certaines rues de Fulham qui n’ont guère changé. Malgré tous les problèmes humains qu’il véhicule, le métro des années 1920 était quand même plus sûr que celui de Christopher Smith dans Creep (2004) qui nous réserve quelques surprises. Ne vous laissez pas enfermer dans la Nothern Line et, si ça arrive, évitez s’il vous plaît de chercher la sortie par les souterrains, c’est un conseil. Remarquons au passage que le très doué Christopher Smith signait aussi Severance (2006) sorti à Paris et surtout Triangle (2009), resté inédit en France alors que c’est un chef d’ œuvre. Cela nous éloigne du cinéma muet mais je ne peux m’empêcher de mentionner un autre film anglais, méconnu, de Michael Powell, en fait son avant-dernier : The Boy Who Turned Yellow (1972). Réalisé pour la Children’s Film Foundation, il présente une scène étonnante dans laquelle un métro londonien et tous ses occupants, dont un enfant, changent brusquement et mystérieusement de couleur au cours d’un trajet. Que s’est-il passé ? Réponse donnée par…un courant électrique qui prend forme humaine et sort littéralement du poste télé quand l’émission est en cours (!).

Un cosmopolitisme bien segmenté

Restons encore dans le métro. Le « racisme » que relève Bryony Dixon, responsable des collections au B.F.I, à propos des cartons de Cosmopolitan London (1924) s’exprime toujours aujourd’hui mais différemment, par une séparation assez nette des quartiers européens et des quartiers africains, séparation qu’on peut constater en arrivant par la route quand on traverse Lewisham en venant de Douvres. Cette impression se renforce quand on voit la différence en gagnant Victoria Station. Et elle se confirme par la fréquentation du  métro. Explication : A Paris, la station du R.E.R. Châtelet-les-Halles ressemble à Bamako car toutes les banlieues déversent leur flot d’immigrés qui vont et viennent en traversant la capitale. Rien de tel dans les transports pourtant saturés du Central London. Pourquoi ? D’abord les lignes National Rail restent périphériques. Ensuite la majorité des Africains vivent et travaillent loin du centre, dans les boroughs du Great London ou du Outer London. Seuls les Pakistanais sont visibles parce que tenant les petits commerces de proximité. Mais, comme à Paris, la prolifération des supermarchés occupant des espaces réduits (et employant un personnel étranger) grignotent les petits commerces. Voilà en tout cas des problèmes qui ne concernaient pas les Londoniens de l’époque Victorienne. Car l’immigration exponentielle du XIXe siècle (multiplication par quatre en cent ans) concernait l’Angleterre des campagnes et l’Irlande.

Londres, capitale du crime

Cette migration proche fournissait des ouvriers déracinés mais aussi tout un régiment de miséreux qui allaient bientôt venir grossir l’armée du crime. A l’exception des Asiatiques fourbes et de la haute société dégénérée, ce seront les méchants ordinaires du roman et du film policiers. Or, le cinéma anglais des années 1950, encore davantage que celui d’avant-guerre, est constitué en majorité d’une grande quantité de petits films policiers. A la différence du cinéma français qui donne préférence à la comédie quand ce n’est pas à la bouffonnerie. Mais déjà au tout début du parlant, avec Blackmail (1929) de Alfred Hitchcock, les sujets policiers ont la cote. Une course-poursuite au British Museum et dans la salle de lecture historique de la British Library conclut brillamment cette œuvrette trépidante qu’on reverra avec plaisir.

D’autres longs métrages bien connus sont annoncés : Piccadilly (1929) sans doute pour donner un aperçu du quartier des théâtres, et High Treason (1929) une anticipation conçue en double version (muette et parlante) qui imagine un sabotage terroriste dans le tunnel sous la Manche. Lors d’un prochain déplacement à Londres, choisissez le car plutôt que le train et exigez le transport par ferry. Même si, il est vrai, la traversée de la Manche – de nuit comme de jour –  réserve aussi à l’occasion son lot de mystères et de crimes. Voyez Channel Crossing (1933) ou Cross Channel (1955).

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1 commentaire
  1. Je suis également une romantique et je les imagine vivre heureux dans les profondeurs.
    Mais j’aime aussi que certains récoltent ce qu’ils n’ont que trop semé. Le scientifique russe m’a beaucoup déçue en révélant à l’abominable monstre à 8 doigts qui lui avait volé l’atout. Et sadique que je suis, j’aurai également apprécié que le mari de l’amie d’Elisa récolte plus qu’une petite réflexion pour avoir eu la langue un peu trop pendue.

    En dehors de ces détails que je peux aisément corriger en imagination, c’est un des plus belles histoires d’amour que j’ai eu l’occasion de voir. Et j’aurai presque aimé être à la place d’Elisa …

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