Critique de 1BR: The Apartment de David Marmor

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Une jeune femme venue de la côte Est, brouillée avec son père suite à la mort sa mère, vient s’installer à Los Angeles pour gagner une indépendance affective et professionnelle. Elle loue un appartement dans un lotissement fermé par un portail automatique protégeant une “communauté”, concept anglo-saxon mis en pratique à Londres et dans quelques grandes villes états-uniennes de la côte Ouest, beaucoup moins à New York. Reçue dans une salle polyvalente appelée open house où les locataires s’enquièrent du règlement et peuvent échanger, elle est bien accueillie et ses futurs voisins semblent, dans l’ensemble, aimables, prévenants. Mais, rapidement, elle va basculer dans un univers cauchemardesque et vivre une expérience terrifiante.

Pour ne pas spoiler, je ne révélerai presque rien du scénario, me contentant de quelques remarques générales sur le traitement de l’espace en milieu urbain et son interaction avec la vie sociale, ce qui constitue un des points forts de cet excellent film d’horreur dans lequel les monstres ne sont pas des créatures exotiques mais grandissent en nous-mêmes si les conditions sont réunies pour les générer.

Une cartographie des immeubles collectifs

Dans le Berlin d’avant-guerre, les immeubles – largement détruits par les bombardements – donnaient déjà sur de vastes cours et M (joué par Peter Lorre) pouvait y sévir, comme dans le film de Fritz Lang. Mais, en raison de la taille imposante des constructions, la moitié des appartements donnaient aussi sur les rues adjacentes, ce qui contribuait à l’aspect biface de ces grands ensembles, à la fois ouverts et fermés, selon la position qu’on y occupait. Ils n’étaient rébarbatifs que par la hauteur, l’uniformité et l’austérité des façades. Mais c’était la caractéristique de Berlin d’alterner palais massifs et casernes d’habitations, ancêtres de nos HLM.

Au Etats-unis, les “immeubles sur cour” proposent une alternative aux maisons individuelles et villas somptueuses. Et toutes les villes n’ont pas la chance de posséder une magnifique architecture victorienne comme celle de San Francisco. A Los Angeles, l’aspect disparate des constructions est combattu le long d’avenues rectilignes où disparaissent latéralement, à l’abri des regards, des ensembles confortables de hauteur modeste (2 étages) abritant ceux qui, dans le film, sont présentés comme un groupe séparé, décrit ainsi : “une communauté assez forte pour changer le monde”.

1 BR The Apartement

Les espaces réversibles

La pénurie d’espaces et transports publics contribue à accentuer chez les angelins la tendance à la fois communautariste et individualiste des Américains. Comment, sans même parler d’unité politique, définir un espace commun de représentation pour plus de 140 nationalités différentes ? La réponse commode tient en un seul mot : Hollywood. Or, des films contemporains – Mulholland Drive (2001) ou Under a Silver Lake (2018) – explorent avec talent l’envers du décor. Un beau moyen-métrage, City of Tales (2018, Arash Nassiri) montre comment la plus importante communauté iranienne en diaspora ne stationne pas seulement à Little Persia mais investit le système autoroutier et les néons publicitaires, superposant une ville rêvée et mouvante (Tehrangeles) à la totalité insaisissable d’une banlieue indéfinie.

Dans 1BR, c’est l’arrière-pays, l’Amérique profonde évacuée des zones rurales disparues qui fait retour dans le tissu urbain. Mais, au lieu de se situer dans les marges, en périphérie d’un centre-ville inexistant, il s’inscrit au coeur même du réseau des rues et des blocs, dans les quartiers cossus ou petit-bourgeois. Après les Redneck Movies, les dégénérés de Hills Have Eyes sont devenus des petits retraités tranquilles, des employés modestes et des jeunes gens bien comme il faut. La dégénérescence et la folie se dissimulent derrière une apparence affable et avenante. Le secret est au croisement des espaces modulaires et interchangeables. La clôture, représentée par le portail qui sonne à la moindre alerte, permet cette confusion qui est une perversion : l’espace privé (l’appartement, la conscience individuelle) glisse vers l’espace partagé (l’open house, les corridors, la cour) qui n’est pas public ou collectif mais coercitif et totalitaire. Le dispositif panoptique s’avère même illusoire puisqu’emboité. “Qui nous observe ?” demande Sarah. “Cela ne nous regarde pas” lui répond-on. Il n’y a plus de distinction entre vie privée, intérieure, et forum global. Cette distribution de l’espace rend impossible tout révolte puisque le dispositif de contrôle ne désigne aucun responsable : idéalement, chacun observe tout le monde et tout le monde est observé par chacun. Ce cauchemar de la transparence est, dans l’imaginaire contemporain, un point de focalisation des tensions paranoïaques liées à l’internet et aux réseaux sociaux qui nous “pistent”. Si l’appartement n’est qu’une cellule dont l’activité est observable comme celle d’un ordinateur et la communauté une cellule plus large, puis le quartier, c’est l’agglomération tout entière (Los Angeles), décentrée et sans limites, la ville-monde qui devient le théâtre d’un complot si total qu’il est sans sujet ni objet.

D’où le sentiment d’angoisse et d’impuissance qui saisit Sarah (et le spectateur avec elle) lorsqu’elle réalise qu’elle ne peut s’en prendre à aucun leader, que les victimes – dont elle-même jusqu’à un certain point – sont consentantes, pratiquantes, et qu’elle n’a donc rien à espérer de personne pour déjouer la machination. Elle est désespérément seule.

La ville tentaculaire

On lit quelque part que les pompiers marseillais ont été empêchés d’intervenir sur les lieux d’un incendie car les habitants du quartier avaient bloqué l’accès à certaines rues. Pour se protéger des dealers et des gangs, donc pour des raisons de sécurité, les riverains avaient privatisé sans autorisation une partie de l’espace public. C’est un exemple de ce que la peur (ici, probablement justifiée) peut engendrer en matière d’improvisation sauvage de l’organisation urbaine. Dans le film, il n’y a pas ou plus de racailles, la clôture matérielle est dénuée de signification. Pour qu’elle soit de nouveau opérative, elle doit être autorisée légalement et surtout intériorisée en renforçant le “pouvoir de la communauté”. Cela se traduit sans surprise par un comportement sectaire dans la narration mais la grande force du film de David Marmor est de dissoudre la figure conventionnelle du gourou  et de ses pratiques (violence, sexualité) et de laisser deviner que cette communauté impersonnelle étend ses ramifications à la ville-monde, qu’elle contamine en arrière-plan. Un monde que nous pouvons parcourir sans relâche sans jamais pouvoir en sortir.

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2 commentaires
  1. Ce film peut tout simplement parler de situations dans la vie. Regardez aussi un film sur ce sujet pour comprendre le sens de la psychologie.

  2. L’action se passe dans une “Gated Communiy” de Los Angeles.

    A l’origine, ce sont des lotissements pour classe moyenne qui, en raison de leur proximité avec les ghettos ethniques, sont entourés de murs et ne sont accessibles que par un portail où des vigiles contrôlent l’accès aux voitures. Pour se protéger des ghettos de pauvres sans clôture, les classes aisées mais pas forcément très riches s’enferment dans de vrais ghettos avec clôture. Certaines gated communities (comme celle du film) sont encore constituées d’une courtyard house : apparue dans les années 1920, c’est un ensemble de logements modestes répartis sur un ou deux niveaux et partageant une cour ou un jardin.

    Mais aujourd’hui la plupart rassemblent des somptueuses villas et suppriment les trottoirs. On retrouve l’influence de la courtyard (hors gated community) dans la structure des motels et des condominiums (petits immeubles de copropriétaires). Les difficultés de surveillance des rues, avec ou sans caméra, replient encore davantage les habitants sur l’espace privé (ou semi-privé) qu’ils tiennent à protéger contre des dangers souvent imaginaires.

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