Critique de Ghostland de Pascal Laugier

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Pauline et ses deux grandes filles, Beth et Vera, héritent de la maison d’une tante au Canada, alors qu’ un couple de fous criminels à bord d’un camion à bonbons les prennent pour victimes de leurs jeux. Devenue un auteur à succès de romans fantastiques, Beth sort son nouveau livre : Incident at Ghostland. Mais elle est rattrapée par le passé et retourne vers la maison de son adolescence.

L’horreur se met en place dès l’arrivée dans la maison. L’hystérie grandiloquente des scènes de violence s’accompagne d’un montage trop rapide qui ne permet pas de voir d’où viennent les coups, ce qui en diminue l’impact et déréalise ce déchaînement d’horreur gratuite. Dans Martyrs (2008), Pascal Laugier avait amplifié l’insoutenable de la seconde partie par les débordements gore de la première. Ici, le va-et-vient entre deux mondes fait hésiter le spectateur. Le soulagement de voir Beth à Chicago faire la promotion de son dernier livre est suivi par l’appel terrifié de Véra et la retrouvaille des sœurs sous le regard attentionné et un peu réservé de la mère. Que signifie cette apparente sérénité de Pauline quand la pauvre Véra semble toujours aussi traumatisée par les événements d’autrefois ?

Si Véra est malade, il fallait l’éloigner des lieux du drame, éventuellement l’interner. Or, non seulement elle est restée sur place mais elle vit apparemment à la cave où elle s’était réfugiée avec sa sœur pour échapper aux monstres du dehors, un ogre digne de The Hills Have Eyes (1977) et une sorcière (travesti queer). Loin de se soigner, Véra survit à moitié nue, le visage tuméfié, en proie aux terreurs du passé qu’elle semble revivre sans pouvoir y échapper (elle reçoit des coups d’un assaillant invisible). La maison est divisée en deux, des pièces tranquilles avec une maman un peu pompette et un sous-sol de l’épouvante. La réalité rassurante du présent à l’étage, le passé traumatisant à la cave. Ces deux mondes en principe ne communiquent pas mais Beth a le privilège de pouvoir passer de l’un à l’autre et de faire son choix.

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Le film délivre une leçon et même une morale. Le monde de l’illusion et du mensonge, c’est la prétention de réussir en fermant les yeux sur le malheur de sa famille, les souffrances d’autrui. Le monde de la réalité, c’est la lutte pour la vie et l’enfer des rapports sociaux. L’histoire de l’ogre et de la sorcière qui veulent « jouer à la poupée » n’est qu’une figuration issue des fables mais elle a ses correspondances dans la vraie vie. Seul le monde de l’art (différent des deux autres) permet de mettre à distance cette réalité en la représentant. La littérature ou le cinéma font prendre corps à  l’imagination créatrice. Le mensonge est dénoncé, l’illusion se dissipe devant les fantômes de la toile. On peut ne pas aimer les films de Pascal Laugier mais lui faire le reproche de la complaisance et de la gratuité est une erreur d’interprétation.

Puisque Pauline n’existe encore, après les événements, que dans l’imagination de Beth qui la fait revivre et se donne à elle-même le beau rôle d’écrivain à succès, il est logique que Pauline préfère Beth à Véra (qui en souffre) et mette en garde Beth contre les appels de sa sœur. Coup de téléphone, messages sur les glaces, tout ça pour redonner à Beth le sens du réel. La réalité, c’est le cauchemar du début. Beth n’a réussi à s’en sortir que sur le mode de l’illusion d’un bonheur frelaté : plateaux télé, flatteries, mari et enfant déguisé, vie mondaine. La mère est présente en coulisse. Mais quand l’illusion se dissipe, la mère disparaît sauvagement égorgée par l’ogre. Pauline préfère Beth à Véra parce que Véra ne flatte pas sa vanité et lui rappelle qu’elle est déjà morte, qu’elle n’est qu’apparence de vie. Un fantôme.

Pauline a voulu défendre ses filles et a perdu la vie. Les deux filles ont été maintenues prisonnières dans leur propre maison et leur vie s’est arrêtée. Dans le sens précis où le cauchemar de la réalité ne semble jamais prendre fin. Pour y échapper, Beth s’invente un monde de fantaisie. Mais elle comprend que sa mère était possessive, qu’elle voulait « dévorer » ses filles, tellement elle les désirait corporellement, en parlant même de leur odeur, la même que renifle l’assassin. La mère est la femme de l’ogre qui laisse son mari se repaître et se contente des restes, comme dans un conte de Perrault. Elle est la complice objective du bourreau. En rejoignant Véra contre l’avis de sa mère, Beth renvoie sa mère au néant. L’existence superficielle et parasite que Pauline doit au talent de sa fille, elle va la perdre. Elle peut rejoindre le fantôme de Lovecraft qui déambule dans les salons et vient féliciter sa fille.

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2 commentaires
  1. Et si le seul point d’encrage était le lien entre les deux soeurs ? Beth répond à l’appel au secours de Véra et c’est Véra qui la sauve. L’une ne peut pas exister sans l’autre.

  2. L’une ne peut pas exister sans l’autre, dans le sens qu’elles sont deux faces d’une seule et même pièce !! L’une est mentale, l’autre émotionnel, et il n’y a qu’en réunissant ces deux parties de nous même, que l’on peut avancer, l’un a besoin de l’autre, et ne peut pas vraiment être séparé !! Ce sont des contraires, un peu comme les deux faces de la lune, blonde et brune !

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