Critique d’American Honey

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Andrea Arnold nous parle d’une jeunesse en marge dont la fougue du cœur, instinctive et rebelle, a décidé de s’exprimer en chœur avec les pénibles contraintes de la vie d’adulte. Dans les films d’Arnold, cette vie d’adulte intervient toujours trop tôt. C’était déjà le cas dans Wasp, oscar du meilleur court-métrage en 2003, où Zoé, jeune mère célibataire de plusieurs marmots, patauge dans la misère du nord de l’Angleterre. Contre toute attente, un homme pose les yeux sur elle et l’éventualité de plaire, d’exister en tant que femme lui fait alors tout oublier, surtout ses enfants. La contrainte de choisir entre un destin de mère ou de femme parcourt de manière obsessionnelle la filmographie de la réalisatrice britannique. C’est l’imperfection de ces femmes, les choix courageux qu’elles prennent malgré le chaos ambiant, qui les rendent sublimes.

Synopsis

Star (Sasha Lane), une adolescente, quitte sa famille dysfonctionelle et rejoint une équipe de vente d’abonnements de magazines, qui parcourt le midwest américain en faisant du porte à porte.
Aussitôt à sa place parmi cette bande de jeunes, dont fait partie Jake (Shia LeBeouf), elle adopte rapidement leur style de vie, rythmé par des soirées arrosées, des petits méfaits et des histoires d’amour…

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Critique American Honey

Dans American Honey réalisé en 2016 et se déroulant aux Etats-Unis cette fois, une autre mère est brutalement rattrapée par sa condition de femme. Très jeune mère de substitution, Star (Sasha Lane) se démène pour des enfants qui ne sont même pas les siens. Jusqu’au jour où Jake (Shia LaBeouf) pose ses yeux sur elle. Un jeu animal et amoureux se dessine et l’appel de la passion et de l’aventure prend le dessus sur le reste. Ni une ni deux on abandonne les mômes, toute contrainte maternelle est balayée d’une traite et c’est parti pour un aller simple vers une vie de bohème sans attache.

Mais telle une héroïne mythique, la fatalité accompagne Star : C’est une relation amoureuse toxique qui a poussé la jeune femme à s’improviser mère pour les enfants d’une autre et à nouveau, c’est l’attention que lui porte un homme qui, on le comprend rapidement, va tout faire vriller. Un long road trip s’engage alors au cœur d’une Amérique dont la faune et la flore ont presque autant d’importance que la dizaine d’adolescents qui la parcourent. Ces jeunes commerciaux improvisés s’arrêtent d’une ville à l’autre pour y faire du porte à porte et tenter d’y vendre des magazines. Tout comme les jeunes étudiantes désabusées du film Spring Breakers (2012) qui décident d’embrasser le monde factice du Spring Break, de la drogue et du banditisme pour palier à un avenir inexistant. La mise en scène accompagnait ce basculement visuel avec une poésie et un onirisme teintés d’images fluorescentes entrelacées et clipesques, non sans rappeler GTA et toute autre démonstration d’une culture audio-visuelle populaire.

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Dans American Honey, pas de chichi visuel. La caméra est à l’épaule, très proche de ses comédiens, comme si la vérité devait passer par les détails visuels et physiques des personnages et de ce qui les entoure. La mise en scène est épurée et s’incline devant la simplicité de ces adolescents survoltés. Ce n’est que lorsqu’il y a très peu de personnages à l’image que la caméra se permet d’exister. Celle-ci devient alors mouvante, comme à la recherche d’une tension supplémentaire dans les visages ou dans les corps crispés qui se cherchent et s’entrechoquent. Cette forte expression du corps rappelle par ailleurs l’adaptation d’Arnold des Hauts de Hurlants réalisée en 2011, dans lequel un amour impossible poussait les corps à s’exprimer à la place des voix adolescentes muettes.

C’est un article du New York Times : « Le porte-à-porte : de longues journées, de maigres récompenses ; pour les jeunes, une vision morose des vendeurs de magazines » écrit par Ian Urbina qui donna envie à la réalisatrice de s’intéresser de plus près à cette sous-culture et à suivre l’un de ces groupes sur les routes américaines afin d’en partager le quotidien. Il semblait dès lors évident à la production et à la réalisation que le tournage devrait respecter leur mode de vie. L’équipe a donc effectué un véritable road trip dans le Midwest, séjournant dans des hôtels miteux avec le moins de techniciens possible. Le film fut également tourné dans sa continuité afin d’aider les adolescents (onze sur quinze n’ayant jamais joué auparavant) et par souci de réalisme quant à l’évolution des rapports et des amitiés qui se tissaient dans le groupe. Ce réalisme à toute épreuve se fait ressentir dans la mise en scène jusqu’à l’excès. Les 2h43 du film servent la sensation de road-trip mais desservent la tension cinématographique. L’approche documentaire rigoureuse a tendance à annuler toute émotion et l’affect ne se manifeste que difficilement chez le spectateur. Les yeux et les visages de l’héroïne et du groupe en général manquant cruellement de charisme et d’expressions par ailleurs. Le film, sorte de docu-fiction, manque peut-être de fantaisie et de cinématographie à force de vouloir s’insérer autant dans le réel, la vérité.

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Tout au long du film, des animaux sauvages interviennent de manière arbitraire et participent également au réalisme du film et marquent le caractère indomptable des personnages. Ces animaux pourraient symboliser la vie d’improvisation et d’impulsivité et sont à l’origine des rares scènes d’émotion du film, ces moments de tensions où le temps s’arrête, où une vie est en jeu avec ces guêpes prises au piège. Ces allégories animales sont récurrentes et sillonnent les routes des personnages d’Arnold. Comme c’est parfois le cas dans les contes lorsque l’on expose l’évolution psychique d’un personnage en le faisant interagir avec un animal, les diverses rencontres de Star avec des animaux semblent évoquer le chemin psychique parcouru : Ils sont tous pris au piège de l’homme ou des éléments naturels lorsqu’elle les délivre et leur rend leur liberté. L’avant dernière rencontre avec un ours est intrigante : Ils se toisent, à peine curieux, comme compréhensifs et respectueux de ce qu’est l’autre et de la place qu’il occupe. Les animaux sont des signes de son parcours en tant que femme, en tant qu’être humain : D’abord pris au piège dans cet étendu large qu’est le monde, ne sachant comment l’aborder, elle finit par accepter cet infini des possibles, cette grande étendue de liberté qu’elle embrasse enfin, ne faisant plus qu’un.

Le traditionnel passage à l’âge adulte

Autre aspect évoquant le conte et le passage à l’âge adulte : Les grands méchants loups qui croisent le chemin de Star. En effet la jeune femme de dix-sept ans se risque à suivre à diverses reprises des hommes d’âge mur et peu rassurants dans des situations assez flippantes. La pression monte, on se cogne la tête contre l’accoudoir devant tant de naïveté, on cesse de respirer… Et puis rien ! On s’attend à ce que Star se fasse violenter vénère et que l’American road trip s’arrête net, mais non ! Chez Arnold les routards ont juste besoin de se confier à la jeune fille pendant leur long trajet, les cow-boys ringards en caisse désirent simplement partager un barbuck avec elle et le travailleur du chantier veut bien qu’elle lui fasse une branlette (consentie et rémunérée) mais surtout un bisou d’adieu ! Alors j’étais peut-être alarmiste ou parano, mais je ne pensais pas que c’était aussi détendu d’être une nana qui se balade seule en débardeur et en short aux fins fonds des Etats-Unis !

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Tout comme Spring Breakers qui utilisait le spring Break comme un eldorado chimérique, un asile édulcoré pour une génération désabusée, les jeunes d’American Honey prennent la route de la vie sans but final comme des bœufs se dirigeant vers l’abattoir (l’image apparaît par ailleurs). Ils évoquent le voyage de Pinocchio vers l’Île des plaisirs où les petits garçons s’amusent à jouer de l’argent, fumer et boire de l’alcool jusqu’à se transformer en ânes vendus ensuite par le sinistre cocher dans des mines de sel ou des cirques. Une fatale gueule de bois semble s’immiscer doucement dans le cinéma des adolescents mais où contrairement aux Aventures de Pinocchio de Collodi, la morale s’efface doucement comme si toute alternative vertueuse était vaine. Andrea Arnold se fait la porte parole d’une jeunesse malmenée, celle qui se bat malgré la fatalité qui l’accompagne. Les corps s’expriment avant les voix. Les têtes se cognent contre les murs, les corps se débattent contre les sols. Peu importe la qualité et la beauté de l’image, Arnold parle vrai. Comme un lapin pris au piège, la jeunesse d’Arnold attend sagement son heure tandis que le rideau se baisse doucement.

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